"LES CHEMINS DE COMPOSTELLE. TOME 1. LA PETITE LICORNE" de Jean-Claude Servais
Jean-Claude Servais, Les chemins de Compostelle. tome 1. Petite licorne , Dupuis, 2014
Paru dans le Pecten N° 114, pp.46-48
Jean Claude Servais, chantre de la Gaume et de la nature, élargit son champs d’action, quitte son pays natal et se lance sur les chemins de Compostelle. En réalité la Gaume reste encore bien présente dans son récit, car l’héroïne principale de ce premier tome (d’une série qui doit en compter sept) est originaire de Breuvanne proche de Tintigny.
Qui connait l’univers de Servais sait que dans ces récits, le présent est toujours porteur du passé, que celui-ci soit empreint de légendes , de sorcellerie ou de la charge des ancêtres... Servais dans ce premier tome reste fidèle à lui même : son héroïne Blanche appelée par son grand père "petite licorne", symbole de la pureté, est initiée par celui-ci, qui est à la fois brasseur, soudeur et alchimiste, aux secrets du brassage mais aussi à celui de l’alchimie. Il lui apprend comment passer de l’Œuvre en noir à l’Œuvre en blanc et comment pour passer à l’étape suivante, l’Œuvre en rouge, l’alchimiste doit se transformer lui-même : "L’alchimiste pour réussir "le grand œuvre" doit donc se transformer lui-même et un grand voyage peut provoquer cette transformation. La tradition lui fait alors rejoindre les chemins de Compostelle". Ces liens entre alchimistes et Compostelle ne sortent pas uniquement de l’imagination de Servais ; ils reposent sur des faits avérés (1) .
Servais s’inspire très largement des films de Patrick Burensteinas (2), tant pour tout ce qui concerne l’alchimie proprement dite que pour l’enseignement transmis à Banche par son grand père en rapport avec la symbolique de l’alchimie inscrite dans les décors des bâtiments de la Grand-Place de Bruxelles.
Après la mort de son grand père, Papounet, sur une plage du Finistère, à la fin de son dernier voyage vers la vraie lumière, Blanche va partir sur ces traces vers Compostelle. Elle part de Bruxelles et Servais, fidèle à sa Gaume, la fait passer par Orval et Avioth où elle rencontrera Violette autre héroïne de Servais (3) et au détour d’un chemin la "Tchalette" (4).
D’autres jeunes , dont on ne connait le passé que par quelques touches, vont également se mettre en route : Alexandre depuis la Suisse après le décès accidentel de sa fille, Céline, jeune novice qui entreprend, depuis le Mont Saint-Michel, le pèlerinage avant son entrée au couvent, et enfin Dominique depuis la Bretagne. J’imagine que dans les albums suivants plus ample connaissance sera faite avec ces personnages.
Qu’est-ce que je pense de ce premier tome ?
D’abord quelques bémols.
Un premier bémol concerne l’enseignement de l’alchimie. Celui-ci entraîne parfois des longueurs dans les dialogues qui freinent le déroulement de l’action et lui donne une allure un peu trop didactique... mais... y avait-il dans ce contexte, moyen de faire autrement ?
Un second bémol concerne les aspects historiques du pèlerinage à Compostelle présents dans cette bande dessinée. Peu présents dans le texte, ils apparaissent en fin de volume et ne sont certainement pas puisés au meilleures sources. De même lorsque l’auteur nous propose dans une rubrique "Pour en savoir plus" notamment les livres de Clouteau, Coello et Ruffin, on se dit qu’on pourrait mieux faire ! Mais... on ne lit pas une bande dessinée de Servais pour apprendre l’histoire du pèlerinage.
Enfin lorsque que j’apprends que Servais s’est lancé dans cette aventure parce que la vente de ses albums en France était faible et qu’il voulait par cette saga sur Compostelle rebooster celles-ci (5), je ne peux m’empêcher d’être déçu : Ce n’est pas l’intérêt pour le sujet qui est le moteur mais le marketing . Une nouvelle fois, le pèlerinage et Compostelle sont marchandisés ! Ceci n’enlève rien à la qualité de l’œuvre et ne concerne en fait pas la bande dessinée elle-même.
Ceci étant dit, SERVAIS reste SERVAIS. Ses personnages principaux, Papounet et Blanche, sont attachants ; les dessins sont toujours aussi beaux, les planches des monuments : Grand Place de Bruxelles, Mont Saint-Michel, Basilique d’Avioth sont du travail d’artiste...
On attend la suite.
(1) Denise Péricard-Méa et Louis Mollaret, Dictionnaire de saint Jacques et Compostelle, Ed. Jean-Paul Gisserot, 2006, pp.9-10
(2) Patrick Burensteinas, Le voyage alchimique, https://www.youtube.com/watch?v=Xi2ouBwo8Hw
Patrick Burensteinas et Georges Combes, Le voyage alchimique : sur le chemin de la pierre philosophale. Bruxelles : la Grand-Place, PGA films, 2008
(3) Jean-Claude Servais et Gérard Dewamme, Tendre Violette, Casterman, 1982 (B.D. en noir et blanc)
(4) Jean-Claude Servais, La Tchalette, Lombard 1982
(5) Jean-Luc Bodeux, Jean-Claude Servais pour un grand raid vers Compostelle, http://www.lesoir.be/680720/article/actualite/regions/2014-10-15/jean-claude-servais-pour-un-long-raid-vers-compostelle, (lu en date du 28/10/2014)